Dépendance et robotique : Un avenir commun

Le 4 avril s’est tenu à l’initiative de Planète Robots et du CRIIF un débat sur le rôle qu’aura à jouer la robotique dans le problème de la dépendance.

Nous tenons à remercier tous ceux qui y ont participé.

 G.G. - C.T. - V.M. - N.D. - R.H. - F.P. - J.P.

Pour les spécialistes de la gérontologie et des gérontechnologies :

  • M. François PIETTE (FP), Chef de service et responsable du pôle Allongement de la vie de l’Hôpital Charles Foix et vice-président de Sol’iage. Président de la société française des technologies pour l’autonomie et des gérontechnologies.

  • M. Christophe TRIVALLE (CT), praticien hospitalier à l’hôpital Paul-Brousse, AP-HP.

  • Mme Valérie MICHEL (VM), ingénieur de recherche à l’APHP et chef de projet gérontechnologies chez Médialis.

  • M. Jérôme PIGNEZ (JP) de www.gerontechnologie.net. Organisateur des Trophées du Grand Age.

Pour les professionnels de la robotique :

  • M. Rodolphe HASSELVANDER (RH) – Directeur Général du CRIIF et vice-président R&D de Sol’iage.

  • M. Gilles GHRENASSIA (GG), PDG de Noveup. Société développant une plate forme VisioConsult qui permet de communiquer à distance. Un robot mobile se déplace au domicile et permet, via la plate-forme, la communication entre la personne et un plateau d’appels.

Rappelons pour introduire le sujet qu’il y a actuellement 1,2 millions de bénéficiaires de l’APA*, que le nombre des plus de 85 ans a doublé ces 30 dernières années et qu’il est prévu qu’il fasse de même les 30 prochaines années. Une large majorité de ces personnes souhaitant rester à domicile.

L’état de l’art

JP : Il y a des technologies qui interviennent sur la prévention (systèmes de brain trainning) et d’autres sur la compensation. Le marché est jeune et atomisé. Il a besoin d’être fédéré. Il y a beaucoup de projets, et tous les intervenants cherchent le marché du particulier. Mais du fait des coûts de la communication, les premières ventes se font toujours avec les EPHAD*, plus accessibles.

RH : Les investisseurs sont rassurés par l’accroche en direction des institutions. Ce ne sont pas les mêmes enjeux économiques.

JP : Avec une institution, en rencontrant 5 personnes, vous obtenez une force de vente conséquente.

VM : De plus, s’adresser au particulier demande une évolution certaine de la technologie et du service qui va avec, pour s’adapter à l’environnement. Les gérontechnologies ne sont pas encore assez matures pour entrer dans ce marché. Il y a un travail de formation, de communication et d’accompagnement à faire.

RH : Il y a quelques technologies qui commencent à émerger. Il n’y a pas encore de produit commercialisé en tant que produit d’assistance, hormis le fauteuil roulant. Même au Japon, sauf HAL, je n’ai pas vu de réelles applications au-delà de spots de communication.

JP : Le Japon investit lourdement dans la recherche et développement, et communique énormément dessus. Ils n’en sont pas à la commercialisation mais ils communiquent bien.

 Care-O-bot

Dégager l’humain des tâches fastidieuses

FP : Ce qui devrait être la prochaine « success story », c’est le robot aspirateur. Plutôt que des aides au maintien à domicile passent leur temps à passer l’aspirateur, ce qui ne facilite pas les relations humaines, le robot aspirateur est une solution. Le robot doit aider l’humain à faire ce qu’il sait faire de mieux, c’est à dire communiquer. Tout ce qui peut être dégagé en termes de tâches annexes vers le robot est positif.

JP : Il y a au Japon un robot, posé sur une table, et qui fait l’animateur face aux personnes âgées. C’est quelque chose qui me gène, mais des gérontologues m’ont répondu ‘Que préfères-tu, les voir toute la journée devant la télévision ?’.

CT : En institution, les personnes âgées restent souvent des heures devant un téléviseur. Pourtant, de nombreuses études l’ont prouvé, le stimulus leur donnant le plus de plaisir est le contact humain. Paradoxalement, lors de certains contacts obligatoires comme la toilette, il arrive que des soignants se comportent comme des robots et ne parlent pas aux patients, mais entre eux. Comme si la personne âgée malade était devenue un objet. Comme l’ont montré les études avec Paro, les sentiments des patients placés face à un robot sont variés, de l’interaction, comme avec un enfant, à la peur, comme face à un animal. D’autres disent ‘Vous nous prenez pour des idiots.’. Nous en sommes encore à une phase de recherche. Pour ma part, il me semble que l’approche de la relation robot-personne âgée est plus facile en institution, qui reste un lieu de recherche, qu’en direct avec le consommateur âgé à domicile.

Qu’attendre des industriels ?

VM : Là où les études ont pu montrer un maximum d’apport de bien-être, ce sont pour les patients Alzheimer avancé qui n’ont plus de moyen de communication avec leur entourage.

FP : La présence d’un animal domestique montre qu’il y a amélioration des conditions de vie. Alors, un robot comme le Paro fait-il mieux qu’un vrai chien ?

CT : Même à des stades très avancés de maladie, la personne âgée préfère toujours le contact humain, puis avec l’animal, et enfin le robot. Avec les animaux, il y a un plaisir immédiat. Paro commence à avoir une certaine diffusion, mais il y a des problèmes de coût et d’entretien : il faut le retourner au Japon pour le nettoyage.

FP : Si on n’a pas l’idée d’un produit qui pourra se fabriquer en grande série à un prix correct, ce n’est pas la peine. Il faut intégrer ce besoin dès le départ. L’allocation pour les personnes âgées dépendantes est bien inférieure à celle des personnes handicapées. De ce fait, des technologies hi-tech ne sont pas accessibles aux personnes âgées dépendantes. Dans la répartition de l’aide financière aux handicapés, l’aide technique est égale à l’aide humaine. Pour l’aide aux personnes âgées, la part revenant à l’aide technique est de 20%, pour 80% à l’aide humaine.

JP : Ce message s’adresse à la recherche : les chercheurs oublient parfois cette barrière dans leurs projets.

FP : Il faut trouver un équilibre entre la recherche appliquée qui apporte des solutions immédiatement et la recherche fondamentale, faite pour prendre le relais après. En France, on a tendance à s’axer sur la recherche fondamentale.

GG : Effectivement, il faut en amont se demander si c’est commercialisable, déployable sur le territoire et acceptable par la population visée. Après, on peut se rapprocher des sources de financements et se demander si la solution pourra être prise en charge par l’Assurance Maladie ou un autre financeur.

 G.G. - C.T. - V.M. - N.D. - R.H. - F.P. - J.P.

Au Japon, la société est en attente. Et en France ?

JP : Notre culture judéo-chrétienne n’attribue pas d’âme aux arbres, aux choses. Après 1945, au Japon, toute une jeunesse a grandi avec Astro le petit robot. C’est la génération qui part à la retraite actuellement. Ce n’est pas le cas de nos parents. Enfin, le Japon préfère faire appel aux technologies qu’à la main-d’œuvre étrangère. Le fait culturel est selon moi le plus important.

VM : L’équipe d’Anne-Sophie Rigaud à l’hôpital Broca, a mené des études sur la façon dont les personnes âgées perçoivent les robots. Ce qui ressort, c’est que ces personnes sont effrayées par ce mot de ‘robot’ et ont peur que cela les prive de contact humain. Si on leur demande ce qu’ils attendent des robots, c’est de l’aide pour réaliser des tâches qu’ils n’arrivent plus à faire eux-mêmes, pour venir assister leurs aidants, ou pour leur faire faire des exercices de stimulation cognitive. Le second point est l’aspect du robot. Celui de forme humanoïde est celui pour lequel il y a le plus de rejet. Les plus appréciés sont ceux de petite taille, qui font jouet, comme le PaPeRo.

CT : Les choses passent aussi par diffusion, comme pour les téléphones portables et les tablettes. Cela sera peut-être le cas des aspirateurs-robots. Au ‘Foyer du romarin’, près de Montpellier, une maison de retraite utilise des Ipad, des Wii, recyclées pour des exercices de rééducations, et a testé le robot Jazz. Ce dernier est dirigé par la famille à distance.

GG : La différence fondamentale dans la sphère de la robotique est entre le robot embarquant une intelligence et celui n’en embarquant aucune. Des robots comme Jazz et Paro ont un échange intellectuel avec l’utilisateur. Est-ce que le dispositif prend la main sur l’homme ? Le refus réel est là, à partir du moment où la personne a l’impression de perdre la main. Notre entreprise a fait le choix d’utiliser la technologie en conservant derrière une personne humaine, qui échange via la machine avec l’utilisateur. C’est une solution mixte qui convient bien à la situation actuelle : nos aînés acceptent la technologie tant qu’elle n’est pas intelligente.

RH : Nous sommes à mi-chemin, le robot a une certaine autonomie, il peut se déplacer seul dans l’appartement, mais il n’intervient pas de lui-même. En terme de prix, un Jazz ne devrait pas coûter cher à la fabrication, mais le marché n’étant pas encore mûr, il a un prix trop élevé pour M. Tout-le-monde.

 Paro

Une technologie à adapter à la dépendance

FP : Par rapport aux perspectives de la robotique dans la compensation du handicap, ce n’est pas la même attente, le même financement, ni la même stabilité. La personne handicapée veut que le robot compense son handicap, sans avoir besoin de personne. La personne âgée veut faire un certain nombre de choses, mais elle souhaite également que cela lui apporte une présence humaine. D’autre part, le handicap reste stable sur de longues périodes, des dizaines d’années. Pour la dépendance des personnes âgées, il y a une évolution rapide. D’une année à l’autre, les besoins ne sont pas les mêmes et la personne ne sera peut-être plus chez elle rapidement, pour être hospitalisée. Il faut donc intégrer cela d’un point de vue économique, par la mise en place de systèmes de location ou d’abonnement. En dehors de la grande dépendance, d’un jour à l’autre, les capacités de la personne âgée fluctuent. Il faut donc qu’elle ait le choix d’utiliser la technologie ou de ne pas l’utiliser, quand elle veut. Nous sommes donc sensibles au fait qu’une des façons de faire accepter la robotique est de compléter, de robotiser, des technologies déjà utilisées, tel le fauteuil roulant électrique ou le déambulateur. La personne est habituée à ces objets. Dernier exemple : via la télé assistance, à laquelle ces personnes sont déjà sensibilisées, il faudra chercher à apporter des fonctionnalités supplémentaires.

[…]

L’article dans son intégralité est paru dans Planète Robot n°16 du 1er Juillet 2012.

Le prochain débat aura lieu en novembre et aura pour thème «les robots militaires». Si vous souhaitez être tenu(e) informé(e), vous pouvez vous inscrire dans la rubrique « Débats robotique« .

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