Les plans sociaux s’enchaînent et la France a le redoutable honneur d’être devenu le pays dont la part de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB est la plus faible (9,3 % en 2010) (1). Au-delà des problèmes sociaux à court terme, «la désindustrialisation constitue une menace pour la croissance future». En effet, 85 % de l’effort de recherche privée est réalisé dans l’industrie. «Plus la base industrielle se réduit, moins le pays dispose d’atouts pour soutenir la recherche appliquée, générer des progrès techniques et contribuer à l’expansion des autres secteurs de l’économie».
Vous avez dit cercle infernal ?
Au Japon, la récession a été plus sévère que pour les autres pays industrialisés et le pays connaît également une forte dette publique. Et pourtant, avec seulement 2 % de la population active du monde contre 27 % pour la Chine, le Japon produit presqu’autant que son immense voisin, parvenant à conserver le statut de troisième puissance industrielle mondiale, leader pour les machines-outils et les robots industriels.
Pour y parvenir, le Japon représente près de 20 % des dépenses de recherche et développement dans le monde, y consacrant 3,6 % de son PIB contre 2,3 % en moyenne dans l’OCDE. Il est ainsi le champion du monde du nombre de brevets par habitant.
Pékin entendant bien poursuivre son rattrapage technologique, le Japon est donc condamné à une fuite en avant technologique, selon la règle d’or qui régit la stratégie industrielle : « Innover ou mourir ».
Le ministère de l’Économie japonais, du Commerce et de l’Industrie (METI) a publié en juin 2010 une étude prospective identifiant cinq secteurs prioritaires comme gisements de croissance additionnelle d’ici 2020, dont l’un est la robotique. C’est donc un effort national, mû par une volonté politique et administrative qui permet à ce pays de s’engager dans cette voie.
Le panorama dressé par le METI pour le remodelage de l’appareil productif ouvre des perspectives sur l’utilisation par le Japon de ses atouts pour compenser ses handicaps, citant entre autres le développement de la robotique pour faire face au vieillissement de la population. Pour atteindre cet objectif, des programmes nationaux de financement sont mis en place depuis 2001.
Aux Etats-Unis, après une décennie de délocalisations, des entreprises parlent de relocalisation grâce à la robotisation de leurs outils de production (la « robocalisation »). General Electric, Boeing, Caterpillar, Ford, Master Lock et Coleman ont commencé des opérations de retour ces dernières années.
Là-bas également, la robotique reçoit un fort soutien politique, l’Etat ayant créé un plan « Initiative Robotique Nationale », qui a alloué 70 M de $ pour la seule robotique industrielle.
En Corée du Sud, la robotique autonome est décrétée depuis 2003 “axe prioritaire de développement”. Le Korean Robotics Basic Plan « vise à faire du pays le leader mondial de la robotique de service à horizon de 2018 » (6) et a déjà débloqué 750 M $ sur quatre ans pour atteindre cet objectif. La robotique, chantier national stratégique, est soutenu par l’achat public. L’entreprise Yujin, créatrice de iRobiQ, un robot éducatif, a bénéficié de ce soutien avec l’achat de milliers de ses machines pour équiper les écoles du pays. Cela lui a permit de passer d’une production en petit nombre à une production industrielle.
La Chine est un cas bien particulier, puisque connaissant une industrialisation à marche forcée poussée par une décennie de croissance à deux chiffres. Et pourtant, le géant d’origine taïwanaise Foxconn a annoncé durant l’été 2011 qu’il procéderait au licenciement de 500.000 ouvriers en trois ans, pour les remplacer par des robots. Foxconn en possédait alors 10.000, et souhaite en avoir un million en 2014 ! Ceci pour répondre aux grèves et nombreux suicides de ses ouvriers, mais surtout à l’augmentation de leur salaire : plus de 70% en quelques années.
Le nombre des robots industriels a déjà augmenté de 50% en 2011 et la Chine pourrait en compter plus que le Japon d’ici deux ans. Mais cette révolution technologique lui posera de gigantesques problèmes sociaux, à proportion de son exceptionnelle densité de travailleurs. A tel point que Wang Mengshu, un ingénieur interrogé par TechnologyReview , déclare : « dans certains champs, nous ne voulons pas d’un développement rapide, afin de résoudre le problème national de l’emploi ».
La robotique, phénomène économique à deux faces
Au plan mondial, l’International Federation of Robotics a estimé dans une étude menée en 2011 que la robotique avait permis de créer 300 000 emplois directs et près de 3 millions d’emplois indirects entre 2000 et 2008. Elle agit de façon bénéfique sur le moteur économique à la fois en tant que moyen de production (des robots, en usine, pour produire), et en tant qu’objet, à haute valeur ajoutée, de la production (les robots produits par les usines). Chaque pays développé veut profiter de cette manne, ceux n’en bénéficiant pas étant pénalisés à tous les niveaux : par l’absence de création d’emplois, par le départ des industries et au final, par le fait de devoir aller acheter ses robots ailleurs.
En France
Avec deux fois moins de robots industriels qu’en Italie, et quatre fois moins qu’en Allemagne, la France a raté le coche de la robotique industrielle, en particulier du côté des PME (2). Le retard est tel qu’il pourra être difficilement rattrapé. Pour le compenser, les entreprises de robotiques s’appuient principalement pour leurs innovations sur une forte activité de recherche, issue des universités et grandes écoles.
Troisième nation en terme de publications en robotique, le savoir-faire de la France en matière de recherche, de logiciel, de jeunes entreprises innovantes et de robotique humanoïde est reconnu, mais n’a pas su passer à la phase industrielle pour l’heure, ce qui fait dire à M. Cocquet, de Cap Digital : “Aurons-nous la structuration suffisante pour passer de la R&D à un cycle de production industrielle ?”. Car voilà ce qui manque : un cadre de développement mobilisant les acteurs. Ce rôle est tenu par l’Etat au Japon et en Corée du Sud, par l’industrie militaire (financée par l’Etat) aux Etats-Unis et par la synergie des grands groupes industriels et des PME en Allemagne.
Une solution adaptée à la structure économique française pourrait passer par des associations, des syndicats professionnels et des organismes facilitateurs, tels que Cap Digital, mettant en lien les entrepreneurs, les organismes de recherche et les investisseurs. Pour l’heure, l’apport de la robotique dans la formation de l’économie du futur n’est pas perçu par les pouvoirs publics comme il l’est dans d’autres pays développés, mais des études commencent à voir le jour (6). Des investissements publics sont également réalisés, tel que Robotex, mais ils financent principalement des laboratoires, avec de faibles dotations (10,5 M€ à redistribuer dans 15 laboratoires de recherche pour Robotex). Il faudrait donc compléter ce dispositif par des aides à l’innovation pour des projets d’entreprises, peut-être en moindre nombre que pour les sujets de recherches, mais financés jusqu’à la phase de production industrielle.
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L’article dans son intégralité est paru dans Planète Robot n°18 du 1er Novembre 2012.